Strategy & Innovation

Impact Model: détecter la meilleure opportunité d'innovation

23.7.2024
7
min.
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L'Impact Model vise à identifier systématiquement la meilleure opportunité avant de générer et d'optimiser l'idée pour concrétiser cette opportunité. Cet article propose d'explorer les principes fondamentaux de l'Impact Model et d'illustrer son fonctionnement à travers un exemple concret.

Cet article est une version vulgarisée de l'article scientifique par Sébastien Deschaux et Léa Bunnens, "Design by Impact : a convergent approach to innovation conception", à paraître prochainement.

L’importance d’identifier la bonne opportunité

L'Impact Model vise à identifier systématiquement la meilleure opportunité avant de générer et d'optimiser l'idée pour concrétiser cette opportunité. Cet article propose d'explorer les principes fondamentaux de l'Impact Model et d'illustrer son fonctionnement à travers un exemple concret.

Les principaux obstacles à la performance de l’innovation sont liés au choix et à l’exécution des idées innovantes (étude BCG, 2015). Or, même avec une parfaite exécution, la qualité de l’idée initiale reste un prédicteur crucial du succès de l’innovation (Felin et al., 2020). Et puisque la qualité d’une idée dépend directement de la qualité de l’opportunité qu’elle concrétise (Reiter-Palmon, 2009; Wigert et al., 2022), la première étape est donc d’identifier la bonne opportunité à poursuivre. Pourtant, l’identification d’opportunité souffre d’un manque cruel d’attention, tant dans la recherche que dans les méthodes de créativité (Abdulla et al., 2020; Reiter-Palmon, 2018).

Ainsi, le lab R&D Dynergie a conçu une méthode appelée Impact Model permettant l’identification systématique de la meilleure opportunité, puis la génération et l’optimisation de l’idée permettant de la concrétiser. L’Impact Model vise la maximisation de l’impact, c’est-à-dire la différence faite par la nouvelle solution pour l’ensemble de son écosystème par rapport aux alternatives. Nous vous proposons d’expliquer comment fonctionne cette méthode, illustrée d’un exemple.

Principes fondamentaux de l’Impact Model

Nous définissons le potentiel d’impact d’une idée comme son potentiel à générer une différence par rapport à la situation initiale ou à ses alternatives, pour l’ensemble des acteurs concernés directement ou indirectement. Cette différence englobe les aspects économiques, environnementaux et sociétaux, mais plus largement des aspects comme le confort, la sécurité, l’appartenance sociale, le temps, etc. En créant une différence favorable pour les utilisateurs, on crée une valeur perçue qui pourra ensuite être valorisée par l’entreprise innovante.

Lorsqu’on cherche la meilleure opportunité, on cherche donc à créer la plus grande différence favorable possible et à s’approcher de ce qui serait considéré une situation idéale pour les acteurs. Pour cela, nous suivons 3 étapes :

1. Identification d’opportunité : analyser la situation et identifier les paramètres qui présentent le meilleur potentiel d’impact

2. Génération d’idée : d’abord pour chaque paramètre, puis en agrégeant dans un concept global

3. Optimisation d’idée : Maximiser l’impact du concept sur tous les acteurs de l’écosystème et sa vitesse de diffusion.

Les étapes, que nous allons développer, sont présentées ci-dessous :

Nous allons maintenant nous appuyer sur un exemple afin d’illustrer le déroulement de la méthode. L’entreprise, que nous appellerons CleanServ pour des raisons de confidentialité, opère dans les services de nettoyage et de maintenance pour les bureaux.

Etape 1 : identifier la meilleure opportunité

Représenter la situation initiale

La première étape consiste à représenter la situation initiale et ses effets sur les acteurs concernés, ainsi que les paramètres de ces effets (de quoi dépendent les effets produits sur les utilisateurs ?)

Application à notre exemple illustratif :

Le système considéré ici est les bureaux, qui sont impactés par l’activité de CleanServ par deux aspects : leur niveau de propreté (via l’activité de nettoyage) et le niveau de fonctionnement opérationnel (via l’activité de maintenance).

Les deux acteurs directement impactés sont les travailleurs qui évoluent dans les bureaux, et le personnel de nettoyage et maintenance de CleanServ.

Pour noter les utilisations concernées, nous utilisons la notation : utilisateur (système utilisé) → résultat/effet

Nous avons donc ici travailleur (bureaux) → travail et personnel de nettoyage (bureaux) → travail

A noter que toute utilisation est réciproque, c’est-à-dire que les acteurs vont également avoir un effet sur le système. Ici :

- bureaux (travailleurs) → dégradation (de propreté ou matériel)

- bureaux (personnel de nettoyage) → propreté et fonctionnement opérationnel

Nous pouvons aussi identifier les interactions des acteurs entre eux :

- travailleur (personnel de nettoyage) → reconnaissance du travail du personnel sur les bureaux

- et personnel de nettoyage (travailleurs) → reconnaissance de leur valeur, si elle est exprimée par le travailleur.

Identifier les paramètres d’intérêt

Afin d’identifier la meilleure opportunité, nous devons représenter les apports réels et perçus de l’activité de CleanServ et les paramètres de ces effets. Puisque les effets réels ne sont pas toujours les effets perçus, nous devons représenter les deux simultanément. Nous utilisons donc ce que nous appelons le Thing Journey, inspiré du User Journey utilisé en design thinking. Le Thing Journey retrace les différents états du système et des utilisateurs, en deux couches :

  • la couche de réalité qui présente les changements tels qu’ils surviennent. La couche de réalité est donc unique.
  • la couche de conscience qui présente les changements tels qu’ils sont perçus. Il y a donc autant de couches de conscience qu’il y a d’utilisateurs.

Les effets perçus peuvent être de différentes natures : gain de temps, économie d’argent, mais aussi sérénité, confort, fierté, sentiment d’appartenance, etc. Nous avons compilé une liste de plus de 150 apports basés sur la recherche en psychologie, neurosciences et marketing, notamment.

Une fois le Thing Journey posé, nous pouvons alors identifier les paramètres dont dépendent ces apports.

Application partielle à notre exemple :  Activité de maintenance (voir le schéma suivant)

Pour les travailleurs, les apports sont principalement négatifs; on pense uniquement au prestataire de maintenance lorsqu'il y a un dysfonctionnement.

L’insatisfaction dépend de :

- la durée de dysfonctionnement, de la survenue du dysfonctionnement jusqu’au reporting de celui-ci + du reporting aux réparations effectives. Idéalement, cette durée serait de 0. Dans la situation initiale, elle est en général d’environ 4 semaines, dont 3 semaines pour faire le reporting

- la fréquence d’usage du matériel dysfonctionnel (la machine à café ou la photocopieuse causeront plus d’insatisfaction en cas de dysfonctionnement que les parasols de la terrasse en plein mois de Décembre).

Filtrer les paramètres pour identifier ceux présentant le meilleur potentiel

Nos paramètres sont identifiés, il s’agit désormais de les filtrer pour sélectionner ceux présentant le meilleur potentiel d’impact. Nous filtrons sur deux critères :

  • est-ce que le paramètre est actionnable ? C’est-à-dire, peut-on raisonnablement penser que le design d’une innovation par l’entreprise permettra d’agir dessus ? Cela exclut généralement les paramètres culturels ou qui dépendent grandement de la personnalité des individus.
  • Quel est le potentiel d’amélioration du paramètre ? Un paramètre déjà largement optimisé demandera probablement beaucoup d’efforts pour une amélioration minime.

Les paramètres ainsi priorisés forment le cahier des charges de l’opportunité présentant le meilleur potentiel, qu’il s’agira ensuite de concrétiser via un concept.

Application à notre exemple : Activité de maintenance‍‍

- Les délais de réparation sont un paramètre actionnable. Le délai d’intervention technique du prestataire à partir du moment du reporting est déjà largement optimisé dans l’industrie. En revanche, le délai de reporting présente un potentiel d’amélioration certain.

- La fréquence d’utilisation dépend grandement du contexte, il est donc difficile d’imagine une solution qui garantisse l’amélioration de ce paramètre.

On en déduit donc que la priorité est d’explorer la réduction du délai de reporting.

Cahier des charges final (basé sur l’intégralité des analyses, qui ne sont pas toutes montrées dans cet exemple) :

- Permettre une prise de conscience régulière du travail fait par le personnel de nettoyage dans les locaux. L’idéal serait de permettre une prise de conscience constante.

- Permettre l’expression de la reconnaissance envers le personnel de nettoyage de façon asynchrone. L’idéal serait de pouvoir l’exprimer n’importe quand, de n’importe où.

- Permettre un reporting facile et rapide. L’idéal serait de pouvoir alerter d’un dysfonctionnement n’importe où, n’importe quand, instantanément.

Etape 2 : Générer l’idée

Générer des idées pour chaque paramètre

Maintenant que nous avons un cahier des charges, nous devons donc nous efforcer de nous en approcher le plus possible par les solutions générées.

Les innovations sont rarement nouvelles dans l’absolu, mais sont plutôt des “innovations locales” : nouvelles pour l’environnement dans lequel elles sont introduites, mais adaptées de solutions et connaissances déjà existantes autre part (Guellec, 1999; Perez-Luno et al., 2007). De ce fait, il est tout à fait possible voire bénéfique de s’inspirer de solutions connues comme point de départ de notre idéation. De plus, en générant des idées indépendamment pour chaque paramètre du cahier des charges, on réduit la complexité et on élargit le champ des possibles.

Les solutions générées sont ensuite évaluées sur leur coût d’amélioration du paramètre considéré.

Application à notre exemple

Nous avons généré des solutions, inspirées de solutions du quotidien ou existantes, pour chaque paramètre. (voir le tableau suivant)

Intégrer les solutions en un tout cohérent

L’objectif ici est d’agréger les solutions indépendantes en un concept global cohérent.

Application à notre exemple :

En nous basant sur nos solutions indépendantes, le concept qui a émergé était :

- un système digital placé de façon visible à plusieurs endroits dans les bureaux, notamment les parties communes

- qui permet de façon visuelle de rappeler aux travailleurs que leurs locaux sont propres et fonctionnels grâce à l’action du prestataire et de son personnel (en affichant le nom et le visage du personnel de nettoyage)

- servant à signaler tout dysfonctionnement dans les locaux

- permettant de laisser un message digital de remerciement au personnel de nettoyage pour la réparation ou le nettoyage

Etape 3 : Optimisation écosystémique et de propagation - le Global Reciprocal Design (GRD)

Le basic concept présenté à l’étape précédente a été généré en maximisant son impact sur les acteurs directement concernés. Le Global Reciprocal Design (ou GRD) vise l’optimisation de l’impact global du concept, en considérant tous les acteurs de l’écosystème, dans le temps. Il inclut l’optimisation de la capacité de diffusion organique du concept, intrinsèquement liée à son impact : plus la solution aura un impact sur ses utilisateurs, plus ils seront disposés à en parler ou l’utiliser de façon visible ; et plus la solution sera diffusée, plus elle aura d’opportunités de créer un impact.

Application à notre exemple

Le concept apporte les impacts suivants aux acteurs de l’écosystème :

- pour les managers des travailleurs, le système peut être englobé dans un projet collectif de bien-être au travail

- pour la personne chargée de centraliser les signalements de dysfonctionnement, le système représente un gain de temps considérable. Nous pourrions également créer de la fierté et de la reconnaissance en rendant sa participation visible de tous.

- pour la personne responsable du compte client chez CleanServ, le concept représente également un gain de temps significatif

- Afin de favoriser l’utilisation et la propagation du système, le reporting et le message de remerciement peuvent être vocaux. En rendant l’acte audible, on crée un sentiment d’exemplarité chez le salarié, de fierté, favorisant donc l’acte en lui-même.

- Pour CleanServ, on crée une opportunité d’ouvrir de nouvelles lignes de business si l’on permet au système de recueillir des demandes de services supplémentaires par les travailleurs (par exemple pressing, arrosage de plantes, etc).

- Tel quel, le concept apporte déjà à CleanServ un élément significatif de différenciation dans une industrie ultra-concurrentielle, et ouvre la voie à de nouvelles offres de services, voire à de nouveaux business models (par exemple en pay-per-use)

Conclusion : pourquoi l’Impact Model change la donne

La méthode Impact Model présente plusieurs avantages par rapport aux méthodes traditionnelles de créativité :

  • Elle se concentre sur le potentiel de l’opportunité plutôt que de se lancer à l’aveugle dans l’idéation, maximisant le potentiel du concept qui sera généré.
  • Elle est convergente, permettant une économie significative de temps et de ressources par rapport aux méthodes traditionnelles, sans sacrifier la créativité des solutions générées
  • Elle permet de justifier chaque choix, et de retracer le raisonnement qui amène à la génération du concept innovant.

Dans un monde ultra-concurrentiel aux ressources limitées, l’Impact Model permet de focaliser les ressources là où se trouve le potentiel maximum, afin de créer des solutions innovantes qui feront une vraie différence pour leur écosystème. La méthode permet également de créer des innovations focalisées sur l’impact environnemental ou social, en intégrant cette contrainte directement dans l’analyse et la sélection des paramètres à considérer.

Sources bibliographique

Abdulla, A. M., Paek, S. H., Cramond, B., and Runco, M. A. (2020), “Problem finding and creativity: A meta-analytic review”, Psychology of Aesthetics, Creativity, and the Arts, vol. 14 No.1, pp. 3.

Felin, T., Gambardella, A., Stern, S., & Zenger, T. (2020), “Lean startup and the business model: Experimentation revisited”, Long Range Planning, Vol. 53 No. 4, 101889.

Reiter-Palmon, R. (2009), “A dialectic perspective on problem identification and construction”, Industrial and Organizational Psychology, Vol. 2 No. 3, pp. 349-352.

Reiter-Palmon, R. (2018), “Creative cognition at the individual and team levels: What happens before and after idea generation”, in Sternberg, R. J.  & Kaufman, J. C. (Ed.), The Nature of Human Creativity, Cambridge University Press, pp. 184-202.

Wigert, B. G., Murugavel, V. R., and Reiter-Palmon, R. (2022), “The utility of divergent and convergent thinking in the problem construction processes during creative problem-solving”, Psychology of Aesthetics, Creativity, and the Arts, Advance online publication

Léa Bunnens

R&D Director - Doctor - Expert in Business Model innovation

With one foot in research and the other in innovation projects, Léa's main mission is to bring these two worlds closer together. On a daily basis, the projects she helps to bring to fruition enable her to build new methods and tools designed to increase the chances of success for subsequent projects. Her specialty: detecting the right opportunity, building the best possible idea, and offering it the optimal business model.

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